La grande histoire d'Estérel Resort

Une épopée qui se poursuit

Les voyageurs qui découvrent pour la première fois Estérel Resort s’étonnent toujours d’apercevoir ce bâtiment à l’architecture si singulière s’élever tel un bateau de croisière éternellement ancré en plein milieu de la forêt laurentienne.

Il faut savoir que l’établissement fit, il y a presque cent ans déjà, partie intégrante de l’un des plus ambitieux projets de villégiature en Amérique du Nord, celui du Domaine Estérel, le rêve d’un certain baron belge. Bien que méconnue, cette histoire marqua ni plus ni moins l’entrée du Québec dans la modernité architecturale, et elle mérite aujourd’hui d’être racontée.

La vision du Baron Louis Empain

À l’aube du XXe siècle, la Belgique est l’une des nations les plus développées au monde et son influence s’étend partout sur la planète. Au sein de la noblesse belge, le Baron Louis Empain (1908-1976) est un philanthrope richissime, un entrepreneur et le fils d’Édouard Empain, un partenaire d’affaires et ami de Léopold II, roi des Belges. Son aventure canadienne commence en 1935, alors qu’il est de passage pour un voyage d’études voué à relancer l’activité économique belge dans la Belle Province.

Le Baron est reconnu pour son esprit indépendant et entreprenant, ainsi que pour son penchant pour l’art, les voyages, le sport et le plein air. D’aventures non loin de Sainte-Adèle, il fait la découverte d’un terrain de jeux absolu : de grandes étendues verdoyantes parsemées de collines boisées dont les reliefs creusent des lacs, de superbes lacs dans lesquels se reflète une beauté encore sans nom : les lacs Masson, du Nord et Dupuis.

Le Baron a le coup de foudre et voit grand. Dès 1935, il acquiert 3000 acres de ces terrains qu’il baptise « le Domaine Estérel », en mémoire d’une région de la côte provençale qui se jette dans la mer Méditerranée, à l’est du Var, en France. Dans un vieil argot, Estérel signifierait « beau ciel étoilé », ou encore « gorge/rocher escarpé ».  Empain rêve déjà de bâtir ce qui sera plus tard reconnu comme étant le premier centre de villégiature quatre saisons au Québec.

L'Art déco d'Antoine de Courtens

Dès la première année, en 1936, le vaste domaine s’agrandit rapidement à 7000 âcres et les premiers bâtiments sont appelés à voir le jour. Le Baron Empain fait alors appel à un vieil ami, l’éminent architecte Antoine de Courtens, afin de réaliser ce qui constituera l’une des premières manifestations de l’architecture moderne au Canada. Ensemble, ils privilégient la « chic modernité européenne » à l’architecture « romantique historique » qui a habituellement cours au Québec (Manoir Richelieu, Hôtel Tadoussac, etc.).

De Courtens, qui possède un talent naturel pour l’architecture et a été inspiré par le pavillon belge de l’Expo Paris 1937, a recours à un style international nommé art déco , qui se caractérise par de grands édifices de béton blanc aux formes arrondies, ouvertes et accueillantes. Il s’agissait d’ailleurs de l’avant-garde architecturale de Bruxelles dans les années 1920-1930, un contraste surprenant qui rompait avec la nature environnante de la forêt laurentienne..

En moins de deux ans, une vingtaine de bâtiments viennent ceinturer la pointe Bleue du lac Masson. On y retrouve entre autres le premier centre commercial d’Amérique du Nord, qui comprend un Holt Renfrew, un atelier de réparation de voitures, une station-service, un cinéma, un restaurant, une tabagie, une boutique de ski et des écuries.

Un autre des plus importants éléments du domaine est sans contredit l’hôtel de la pointe Bleue, qui servira de résidence au Baron et jouira d’une grande notoriété, particulièrement avec sa Blue Room qui, après la soirée d’inauguration animée par nul autre que Benny Goodman, deviendra le lieu de rendez-vous le plus in de la grande région de Montréal. On y retrouve également une série de chalets en bois rond, dans lesquels séjournera le prolifique auteur belge George Simenon, qui y écrira l’un de ses romans les plus estimés : Trois chambres à Manhattan.

Le troisième édifice à sortir de terre au Domaine Estérel fut le sporting club, lieu de l’actuel Estérel Resort, et se situait un peu plus en périphérie du domaine que les autres bâtiments. Son architecture rappelant celle d’un bateau comprenait des espaces living room, un bar, une salle de restaurant, un gymnase, un solarium, une salle de badminton et de nombreuses cabines faisant office de vestiaire.

À l’extérieur, les visiteurs pouvaient profiter d’une plage ainsi que d’un immense plongeon, que l’on surnommait « la girafe ». Les sports aquatiques, qui sont à cette époque extrêmement populaires, y font fureur. À l’été 1938, on y tiendra d’ailleurs les championnats provinciaux et canadiens de natation et de plongeon.

Plusieurs autres événements y ont lieu, tels que des courses interprovinciales de bateaux-moteurs et autres courses hebdomadaires de petits voiliers. En 1939, un tout nouveau sport fait son apparition au sporting club : le ski nautique. Le champion de Monte-Carlo viendra d’ailleurs séjourner au Domaine Estérel  durant quelques semaines cette année-là.

Crédits photo : Société d'histoire de Sainte-Marguerite du Lac Masson et d'Estérel
Estérel d'antan
Crédits photo : Société d'histoire de Sainte-Marguerite du Lac Masson et d'Estérel

La fin d'un rêve et le début d'un autre

L’entrée en scène du Canada dans la Seconde Guerre mondiale viendra couper court au rêve du Baron Empain et sera le début de grands bouleversements au Domaine Estérel. À l’époque, les activités étrangères en sol canadien sont considérées suspectes, aussi l’armée met « sous séquestre » l’ensemble du domaine et y installe des casernes, un mess et d’autres infrastructures militaires, jusqu’en 1944.

Peu après la fin de la guerre, le Baron Empain, échaudé, mettra en vente l’entièreté du domaine, ainsi que tous ses biens au Canada. Le centre commercial est rafraîchi et ouvre à nouveau au public, alors que l’hôtel de la pointe Bleue devient une maison de convalescence.

Un nouvel acteur majeur pour l’avenir du domaine entrera bientôt en scène, dès la fin des années 1950. Venu du ciel, littéralement, Fridolin Simard est à bord de son hydravion en direction de Montréal, alors qu’une tempête l’oblige à amerrir sur le lac Masson…

L’ère Fridolin Simard

Natif de Saint-Urbain, dans Charlevoix, Fridolin Simard est un entrepreneur aguerri ayant lancé, avec son frère, l’entreprise de construction Simard et frère. En 1939, il fut également maire d’Amos – devenant à l’époque le plus jeune maire du Canada, à l’âge de 29 ans. Il occupa également le poste de président de l’Union des municipalités du Québec, un coutumier donc de l’urbanisme, de l’architecture et du monde municipal.

Si c’est par le plus complet des hasards que M. Simard s’est posé dans la région avec son hydravion, le reste fut une suite de décisions audacieuses. Avec son frère, il entrevoit dès lors l’opportunité de reprendre le lègue du Baron Empain et d’y construire un vaste développement domiciliaire.

Dès la fin des années 1950, le domaine est acheté et fragmenté, ce qui donnera naissance à deux nouvelles municipalités : Estérel et Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson. On fait appel à Claude La Haye, le père de l’urbanisme au Québec, pour prendre en charge un plan d’aménagement qui favorisera le développement harmonieux des habitations avec les paysages naturels extraordinaires de la région.

C’est sur les bases de l’ancien sporting club du Baron Empain que M. Fridolin Simard,  qui devient le maire-fondateur d’Estérel, construira l’Hôtel du même nom, en 1962, avec l’aide des architectes Jean-Marie-Roy et Roger D’Astous. Ces derniers participeront également au développement d’un grand lotissement de maisons résidentielles sur les abords des lacs du Nord et Dupuis.

L’hôtel Estérel deviendra rapidement une destination phare de la villégiature au Québec, avec ses 124 chambres aménagées dans un édifice en béton armé, un choix audacieux pour l’époque. C’est l’âge d’or d’Estérel. On s’y rend, été comme hiver, pour échapper au tumulte de la ville et pour y pratiquer de nombreux sports de plein air.

Jusqu’à aujourd’hui

Près de soixante ans plus tard, l’hôtel Estérel – dorénavant appelé Estérel Resort –  est toujours en activités, alors que sa pérennité est assurée par la troisième génération de la famille de feu Monsieur Fridolin Simard. L’ancien hôtel fait désormais partie d’un complexe multifonctionnel de 200 suites, dans lequel on retrouve deux hôtels, trois restaurants, un spa nordique, un centre de santé Amerispa, un centre de congrès, ainsi que la plus grande collection à vin au Québec.

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